Biographie
Biographie
Enfance
1962-1980
La lecture d'auteurs comme Descartes, Zola, Hugo, le théâtre de Racine ou la poésie de Baudelaire et des auteurs Algériens comme Mouloud Mammeri et Mouloud Feraoun lui permirent de se forger intellectuellement, un élan stoppé alors qu'il était au lycée par la politique d'arabisation imposée du président Boumédienne.
À neuf ans, il fabrique sa première guitare avec un vieux bidon d'huile de voiture un manche en bois et quelques fils à pêche, il n'a jamais appris la musique à l'école :« Je n'ai jamais étudié ni la musique, ni l'harmonie. ... j'ai acquis cette oreille musicale en écoutant les anciens, en assistant aux veillées funèbres, là où les chants sont absolument superbes, de véritables chœurs liturgiques ». En 1972, son père rentre au pays après trente ans d'émigration en France et lui offre un mandole, acheté à Paris chez Paul Beuscher. Une année plus tard, au cours d'une partie de poker, il mise sur le mandole et perd sa mise. L'année suivante, il se débrouille pour s'acheter une guitare puis commence à animer régulièrement des fêtes. Durant l'année 1974, alors qu'il est interne au lycée de Bordj Menaïel, il est renvoyé à plusieurs reprises par le surveillant général pour cause de mauvaise conduite. Il blesse un jeune garçon à coup de rasoir à la suite d'une bagarre qui a éclaté dans un salon de coiffure. Interpellé par la gendarmerie, il devait être relâché le lendemain. Au tribunal, Lounès a osé demander au procureur une cigarette. Ce dernier abasourdi par un tel comportement décide de l'incarcérer. Lounès purge alors un mois de prison. À sa sortie, il fait un stage de mécanique générale à Alger, après avoir été reçu à l'examen final, il enchaîne avec six mois de formation en ajustage.
En 1975, il est appelé sous les drapeaux. Il rejoint Oran pour passer ses deux années de service militaire, il y subit le racisme et la ségrégation8, et pour oublier, il se réfugie dans la poésie, l'écriture et la composition de chansons : « C'était pour moi une façon d'échapper à tout ce qui m'entourait, à la mesquinerie ambiante et à l'étroitesse d'esprit de ceux qui me commandaient » écrit-il. À la fin du service national, il est embauché à l'économat du collège d'enseignement moyen d'Ait Douala où son père était cuisinier depuis 1972, ne prenant pas trop au sérieux son travail, il se fait renvoyer. Munis des poèmes écrits pendant et après le service militaire et des quelques notions de musique, il se lance dans la chanson. Voyant un certain succès à chacune des fêtes qu'il animait, il décide de tenter sa chance ailleurs. En 1978, il vient en France. Un soir, il anime une soirée dans un café où il gagne 4 000 F, ce qui l'encourage à monter à Paris. Il se produit dans les cafés très fréquentés par la communauté émigrée kabyle. Un ami - Ramdane - lui présente le chanteur Idir qui l'invite un jour à chanter en compagnie d'autres chanteurs au palais de la Mutualité lors d'un récital intitulé La nouvelle chanson berbère organisé par la coopérative Imedyazen en collaboration avec le groupe d'Étude berbère de l'Université de Vincennes. Au cours de ce concert, il fait la connaissance de Slimane Azem et Hnifa. Il réadapte même quelques-unes de leurs chansons. Il dira plus tard : « C'est au cours de ce concert que j'ai rencontré deux monuments de la chanson kabyle : Slimane Azem et H'nifa. Et je leur ai parlé ! J'étais aux anges. Aujourd'hui, ils sont morts, tous les deux. Slimane est mort en France des suites d'un cancer de la gorge, il y a une dizaine d'années. Le régime de Boumediène l'avait contraint à l'exil : ses chansons étaient jugées trop critiques à l'égard du pouvoir. Quant à H'nifa, qu'on avait surnommée « la voix d'or de la chanson kabyle », elle est morte oubliée de tous. Son corps n'a été retrouvé que plusieurs jours après son décès, dans une chambre d'hôtel minable de la proche banlieue de Paris. Triste destinée pour ce bouleversant rossignol. Que tous deux reposent en paix ».
Idir l'accompagne dans une maison d'édition pour faire son premier enregistrement. Premier disque, premier succès
1980 - 1988
En avril 1980, Matoub Lounès se produit à l'Olympia. Ce concert le contraint à suivre les événements de loin par le biais de la presse, depuis la France. Il raconte : « Lorsque je suis entré sur la scène de l'Olympia, la guitare à la main, je portais un treillis militaire, une tenue de combat. Geste de solidarité envers la Kabylie, que j'estimais en guerre. ».
« Ces événements, je les suivais de loin, car j'étais en France à ce moment-là. Je dévorais la presse, je passais mon temps à téléphoner car je voulais être informé heure par heure de leur déroulement. J'enrageais de ne pas y participer, mais il y avait l'Olympia, et mon premier grand concert à Paris. J'étais déchiré, partagé entre le besoin d'être parmi les miens et mon engagement d'artiste. », il tente avec quelques militants kabyles, d'organiser une manifestation devant l'Ambassade d'Algérie en France à Paris. La manifestation fut interdite, Lounès s'est fait embarqué par la police en compagnie de ses camarades en se retrouvant entassé dans des cellules minuscules. Depuis, Lounès Matoub a toujours répondu favorablement lors des célébrations du printemps berbère où il a animé plusieurs galas dans les milieux universitaires, notamment durant la décennie 80-905.
En 1985 Hocine Aït Ahmed et Ben Bella – celui-là même qui l'avait condamné à mort en 19649 et responsable de l'impitoyable répression qui s'est abattue sur la population kabyle – se rencontrent à Londres dans l'objectif de constituer une alliance contre le régime en place. Matoub qualifie cette initiative d'absurde et aberrante. En produisant un album Les deux compères10 pour exprimer son rejet à cette fallacieuse alliance, le journal Libération le qualifie de fasciste : « le fascisme d'un certain Matoub Lounès qui propose, entre deux accords de guitare, de jeter les Arabes à la mer ».
Il voyait dans le Mouvement culturel berbère (MCB) un cadre rassembleur. En effet, le 25 janvier 1990, date d'une marche historique, il a été désigné pour remettre un rapport à l'APN (Assemblée Populaire Nationale). Lounès déplore les divisions du mouvement : « malheureusement, c'est là où le bât blesse, lorsqu'on voit le mouvement s'effriter, alors que c'est notre force de frappe et de persuasion. Pour ma part, je ne prête pas attention à ce genre de discours. Le MCB est un mouvement qui draine énormément de foules donc sujet à des exploitations. »
Matoub qui contestait le régime sous le règne de Boumédiène, garda de similaires positions pour celui de Chadli qui maintenait son indifférence à la calamité succédant le 20 avril 1980. Il lui fait grief également, à lui et son gouvernement, d'être à l'origine de ce qui s'est passé le 5 octobre 1988.
1988-1994
Le 9 octobre 1988 Matoub, en compagnie de deux étudiants, à bord de son véhicule, a pris la destination de Ain El Hammam (ex Michelet) venant de l'université de Tizi Ouzou pour distribuer un tract appelant la population à une grève générale de deux journées et au calme à la suite des manifestations d'Alger. Intercepté par des gendarmes qui le suivaient, l'un d'eux tire à bout portant sur Lounès après l'avoir insulté tout en passant les menottes aux deux étudiants. Lounès Matoub s'effondre ; il est atteint de cinq balles dont l'une lui traverse l'intestin et fait éclater le fémur droit. Il est ensuite évacué vers l'hôpital de Ain El Hammam puis à l'hôpital de Tizi Ouzou. Ensuite il est transféré à la clinique des orangers à Alger. Il y est resté six mois avant d'être transféré en France pour des soins plus intensifs à l'hôpital Beaujon le 29 mars 1989. Six semaines plus tard, il anime un gala au stade de Tizi-Ouzou devant une immense foule alors qu'il portait des béquilles. En dix-huit mois, il a subi quatorze opérations chirurgicales.
Au cours de son séjour à la Clinique des Orangers à Alger, Isabelle Adjani lui rend visite. Deux ans plus tard il est poignardé par son voisin dans les locaux mêmes de la gendarmerie.
Le 29 juin 1994, lors de la marche organisée à Alger pour exiger la vérité sur les circonstances de l'assassinat du président Mohamed Boudiaf, il se trouve aux côtés de Saïd Saadi et Khalida Toumi quand une bombe explose au niveau de l'hôpital Mustapha faisant deux morts et plusieurs blessés.
Le 25 septembre 1994, à 21h environ, il est enlevé par un groupe armé qui le surprend dans un café-bar, pas loin de Tizi Ouzou. Son enlèvement bouleverse la Kabylie tout entière, qui se solidarise jusqu'à sa libération survenue le 10 octobre aux environs de 20h dans un café à Ait Yenni. Durant ces seize jours de séquestration, il est condamné à mort par un tribunal islamique. Grâce à la mobilisation de la population, il retrouve les siens sain et sauf. Cet enlèvement suscite beaucoup de spéculations, à tel point que certains l'accusent d'avoir monté un scénario lui-même pour accroître sa notoriété et sa popularité. Malgré les « tortures » psychologiques endurées pendant sa séquestration et les menaces qui pesaient sur lui, il ne cesse de chanter et continue son combat pour la cause berbère, la démocratie et contre l'intégrisme islamiste. On l'a jugé pour ses chansons. Il raconte dans son livre Rebelle le procès de déroulant dans une forêt :
« "C'est toi l'ennemi de Dieu." Je n'ai pas répondu. Ensuite, il a passé en revue tous ce qu'ils avaient à me reprocher. J'ai compris à ce moment-là que mon "procès"" se préparait. En tête des chefs d'accusation, évidemment, mes chansons. "C'est à cause de tes chansons que la Kabylie est en train de sombrer dans le néant, c'est toi le responsable." Je n'avais donc que d'autre choix que d'abandonner, je devais cesser de chanter. L'exemple, le modèle qu'ils me citaient sans cesse était celui de Cat Stevens, que tous appelaient de son nom musulman, Yusuf Islam. Ce très grand chanteur avait décidé du jour au lendemain de quitter sa vie passée pour embrasser l'Islam. »
En revanche, on lui reprochait ses « blasphèmes » réitérés à l'encontre de l'Islam et du Coran, La chanson qu'il avait écrite après la mort de Boudiaf, L'Hymne à Boudiaf, lui a valu une interpellation particulièrement vive : « Comment as-tu pu écrire sur ce chmata, cette saleté ? Tu ne sais pas qu'il a envoyé dix mille de nos frères dans le Sud algérien dans des camps de concentration ? » Et il le comparèrent à Salman Rushdie. Enfin le 10 octobre de la même année, après un long interrogatoire qui dura des jours, ils le libérèrent en lui confiant un message aux Kabyles.
Il était aussi un fervent supporter de la Jeunesse sportive de Kabylie (JSK) depuis longtemps. Il a d'ailleurs composé plusieurs chansons sur le club kabyle, bien que les dirigeants de la JSK n'étaient pas favorables à ce que ce club soit une tribune d'expression pour la revendication identitaire. Le jour de l'enlèvement de Lounès, un ami à lui tenta vainement de persuader les dirigeants de la JSK d'annuler la rencontre l'opposant à un club des Aurès (un autre club berbère), Il écrit dans son livre Rebelle :
« Un ami est allé trouver la JSK pour demander aux responsables du club d'annuler la partie. Refus. Il a proposé alors que les joueurs portent un brassard noir à la mi-temps. Nouveau refus. Ou les responsables ne se sentaient pas concernés, ou ils craignaient d'éventuelles représailles. Ils ont souvent manqué de courage. La preuve : je leur avais demandé de sponsoriser le Mouvement culturel berbère lors d'un match important. »
« Leur refus a été catégorique, sous prétexte que le danger était trop grand. Le danger terroriste, bien sûr. Les dirigeants de la JSK à mon sens, ne sont pas réellement sensibles à la cause berbère. »
Le 24 novembre 1994, il a été l'hôte du directeur de l'UNESCO, en présence de nombreux hommes des arts, des lettres et des journalistes lui rendant hommage pour son combat pour la démocratie. À l'issue de cette rencontre, il a remis à son hôte le coffret complet de son œuvre. Aussi, en guise de reconnaissance et de récompense pour son combat pour la démocratie, il reçoit le 6 décembre de la même année, le Prix de la Mémoire que lui décerne Danielle Mitterrand à l'amphithéâtre de l'université de la Sorbonne à Paris. Il devient le chanteur le plus médiatisé. Sa popularité ne cesse de prendre de l'ampleur. Sa carrière de chanteur s'approfondit considérablement en faisant dans l'innovation artistique. Ses dernières productions parlent d'elles-mêmes tant sur le plan musical qu'à travers les textes.
En dehors de la France où il se produit très souvent, Lounès Matoub a animé un gala le 16 janvier 1993 à Montréal, à l'occasion du nouvel an berbère, puis à New York le 20 janvier 1993 et en Californie le 13 mars de la même année.
1995-1998
En janvier 1995, il publie aux éditions Stock, à Paris, un livre sur sa vie qu'il considère comme un reflet de son parcours, il disait à propos de cela :
« Cet ouvrage est la somme de toutes les souffrances passées. Mon rapt, puis ma libération grâce à la mobilisation de la population a été le déclic qui a déclenché le besoin d'écrire. C'était un moment important dans ma vie. Quand j'ai été blessé, la population a été pour moi d'un grand réconfort psychologique. Par contre le dernier épisode a été très fort, très douloureux. 15 nuits de séquestration c'est 15 morts consécutives. J'en garde encore des séquelles. C'est ce qui m'a motivé pour écrire ce livre. L'écrit reste comme un témoignage impérissable du péril islamiste auquel certains osent trouver des circonstances atténuantes et vont même jusqu'à le soutenir. »
Le 28 janvier 1995, Matoub donne deux concerts dans la même journée au Zénith de Paris, un le matin et un le soir : une première dans l'histoire de la salle parisienne.
Lounès Matoub y interprétera ses plus grands classiques : "Assagui Lligh", " Lεemeṛ-iw", "Monsieur le Président", "Mimezran", "Sserhas Ayadu", "Hymne à Boudiaf", "Rwah Rwah", "A Yemma Yemma", "Kenza", "Avrid Ireglen", "Slaavits Ayavehri", "Urifur", "Allah Wakbar", "Yir Lehlak" ou encore "Igirru N Lkif". Le chanteur invitera également des personnalités de la chanson kabyle telles qu'Idir et Malika Domrane.
En 1996, il sort l'album La Complainte de ma Mère dans lequel il fait chanter celle qu'il l'a mis au monde. Dans cet album, Matoub reprend un grand classique de la poésie et de la chanson maghrébine et orientale : "Tighri N Taggalt" (La Révolte de la veuve). Cette reprise est considérée comme l'une des plus grandes réussites musicales de la carrière Matoub aux yeux du public et de lui-même. D'autres chansons comme "Assirem" (L'espoir), "Taekwent N Tegrawla" (Épreuve de révolution) ou encore "Lrella N Trad" (Le butin de guerre) ont été aussi grandement appréciées par ses fans.
Un an après ce succès, en 1997 le rebelle rencontrera Nadia qui deviendra sa troisième femme. La même année, il sort l'album Au Nom de tous les Miens. Les plus grands succès de cet album sont : "Semehtiyi", "Selkan Iderz" ou encore "Andats Tahzibt". Toujours en 1997, Matoub donnera un concert au Zénith de Paris.
Le 17 janvier 1998, Lounès Matoub se produit sur la scène du Zénith de Paris pour ce qui sera son dernier concert. Le concert complet est enregistré sous forme audio et sera commercialisé en 2004 sous le nom de "L'Adieu...".
En tout, Matoub chantera vingt-deux de ses plus grands titres : "Assirem", " Lεemeṛ-iw", "Avrid Ireglen", "Monsieur le Président", "Ssu-yas", "Kenza", "Slaavits Ayavehri", "Tighri N Taggalt", "Hymne à Boudiaf", "Taekwent N Tegrawla", "Urifur", "Tatut", "Zziyar", "L'Espoir", "Allah Wakbar", "Igirru N Lkif", "Rwah Rwah", "Igujilen", "Ayahvivniw", "Lettre Ouverte Aux..." (en avant-première), "Attas-is Yennan" et enfin "As El Farh".
Le 25 juin de la même année, revenant de Tizi Ouzou, afin de rentrer chez lui en compagnie de sa femme et ses belles sœurs, Lounès Matoub fut assassiné par un groupe armé qui l'assaillirent en tirant sur son véhicule d'une bourrasque de balles de kalachnikov. Tel un coup de tonnerre, l'information jaillissait de partout la Kabylie. Une grande révolte des populations de Lounès succéda à sa disparition.
Bouleversé par les événements, attaché par fidélité à son combat et contraint de mener sa vie telle que voulue pour cause d'insécurité, telle était la situation dans laquelle s'était retrouvé Lounès Matoub. C'est son choix :
« Moi j'ai fait un choix. Tahar Djaout avait dit : "il y a la famille qui avance et la famille qui recule". J'ai investi mon combat aux côtés de celle qui avance. Je sais que je vais mourir. Dans un, deux mois, je ne sais pas. Si on m'assassine, qu'on me couvre du drapeau national et que les démocrates m'enterrent dans mon village natal Taourirt Moussa. Ce jour-là, j'entrerai définitivement dans l'éternité. »
De par ses textes, ses chansons, ses interventions… nul ne peut nier ni le talent de Lounès dans la chanson, ni son combat pour une Algérie debout, ni son militantisme zélé pour l'aboutissement de la revendication identitaire.
Dans son dernier album, il reprend l'hymne national à sa manière, malgré les dangers auxquels il s’exposait :
« Je sais que ça va me valoir des diatribes, voire un enfermement, mais je prends ce risque, après tout il faut avancer dans la démocratie et la liberté d'expression. »
Il était aussi un fervent défenseur du système fédéral qu'il considérait comme solution à tous les maux de l'Algérie :« Le régionalisme est une réalité politique, il s'agit de l'assumer dans un système fédéral. L'histoire a façonné le peuple algérien suivant des composantes distinctes, qui expriment aujourd'hui des aspirations contradictoires. Il faut dédiaboliser cette notion de fédéralisme qui est une forme d'organisation très avancée. Régionaliser, c'est donner plus de pouvoir aux régions. C'est pour le bien de tout le pays. Plusieurs exemples dans le monde montre l'efficience de cette forme d'organisation »